Petite histoire des jeux de cartes et de ses joueurs

L'une des plus attrayantes créations de l'esprit humain est certainement celle des cartes à jouer, car elle donne lieu à de multiples combinaisons. Les jeux de cartes permettent d'exécuter des expériences basées sur des combinaisons mathématiques ou sur la dextérité et l'audace.

L'origine des cartes à jouer reste mystérieuse. Les hypothèses les plus diverses ont été avancées à ce sujet. Selon certains, les cartes auraient une origine asiatique: dès le Xe ou le XIIe siècle, elles auraient été utilisées en Chine ou en Hindoustan. Pour d'autres, elles seraient nées en Europe, peut-être en Italie, où l'on connaît l'existence d'anciennes fabriques à Venise, Bologne et Florence. À partir de ces villes, elles se seraient répandues dans les pays voisins, en France notamment, où des documents signalent l'utilisation de jeux de cartes dès la fin du XIVe siècle. Il n'est pas exclu, d'ailleurs, qu'il y ait eu plusieurs origines indépendantes, par évolution parallèle à partir d'anciens jeux, comme les dés et les échecs. On peut tenir cependant pour plus probable qu'il y a eu passage de l'Asie à l'Europe, mais il reste, dans ce cas, à savoir par quelle voie.

Une chronique italienne du XVe siècle affirme qu'un jeu de cartes fut introduit à Viterbe par des Sarrasins. Mais il convient de noter que le Coran interdit tout jeu de hasard et toute représentation d'être vivant, et que l'assertion du chroniqueur n'est confirmée par aucune donnée historique de source musulmane. Certains estiment que le trait d'union a été établi par des tribus nomades, de bohémiens ou gitans, d'origine asiatique. L'hypothèse la plus séduisante se fonde sur les rapports qui liaient l'Italie, et particulièrement Venise, à l'Extrême-Orient aux XIIIe et XIVe siècle. Ne serait-ce point par la célèbre «route de la Soie» que l'idée, sinon la forme, du jeu de cartes se serait introduite en Occident? Cette origine expliquerait la date d'apparition des cartes à jouer en Europe, et certaines ressemblances entre les cartes chinoises et les naïbis italiens.

Dès son apparition, le jeu de cartes (entendu comme jeu de hasard et d'argent) obsède les pouvoirs civil et ecclésiastique.

L'un et l'autre vont s'efforcer, des siècles durant, de lutter par tous les moyens contre ce fléau : prédications suivies d'autodafés conduits par l'Eglise à la fin du Moyen-Age, ordonnances, décrets, arrêts du Parlement promulgués par les autorités souveraines, particulièrement durant l'Ancien Régime. Puis, faute de parvenir à lutter efficacement contre les joueurs, le pouvoir finit par s'en prendre -pense-t-il- à l'origine même du mal : le commerce des jeux. Ainsi, tout en exploitant cette nouvelle source de profit, l'Etat justifie-t-il pendant longtemps l'impôt levé sur les cartes par les débordements qu'entraînent leurs abus.

Le XIXe siècle propose un début de législation plus réaliste, règlementant la pratique des jeux.

Les premières preuves de l'existence des cartes à jouer en Europe sont des règlements municipaux qui tentent d'en prohiber l'usage, à la fin du XIVe siècle.

Les jeux de cartes sont alors assimilés aux jeux de hasard et font l'objet d'une pénalisation sévère. De nombreuses lettres de rémission témoignent des peines encourues par les coupables.

Du point de vue des autorités religieuses les cartes, jugées "diaboliques", sont l'objet d'un combat incessant, soutenu voire proposé par les pouvoirs civils, et qui prend la forme de véritables croisades. De nombreux prédicateurs, tel Bernardin de Sienne, à Bologne, concluent leur sermon contre les jeux par une exhortation à les brûler. En fait, très tôt, le pouvoir hésite entre une répression aveugle, d'autant plus inefficace que la noblesse et le clergé ne dédaignent pas ce divertissement, et le désir de contrôler cette activité tout en en tirant quelques avantages financiers.

Ainsi, à partir du XVe siècle, la plupart des souverains étrangers choisissent de prélever un impôt sur les cartes à jouer. En France, le règne d'Henri III inaugure une période d'imposition séculaire.

Il faut attendre la Révolution puis l'Empire, confrontés pourtant au même problème, pour favoriser une évolution des comportements. Les jeux, pris dans leur ensemble, ne font plus l'objet d'une prohibition aussi radicale que vaine et l'on institue désormais des lieux spécialisés et contrôlés.

Aujourd'hui encore, interdits ou tolérés, ce ne sont pas tant les jeux eux-mêmes que les maisons de jeux qui tombent sous le coup de la loi. Si aucun jeu n'est vraiment interdit, la pratique de ceux faisant la plus large part au hasard est très réglementée.

Les joueurs de cartes

Le sujet du joueur de cartes est vaste, universel, et difficile à traiter dans son entière diversité. Observer les joueurs français et les joueurs européens, suivant un cheminement social et historique, permet de remonter aux confins du Moyen-Age. La dimension "mondiale" du joueur, avec la Chine, rejoint une époque encore plus ancienne.

Au fil d'un parcours initiateur, devenu parcours-jeu, la peinture, la littérature, la bande dessinée, le cinéma, sont susceptibles de livrer, tour à tour, une interprétation de ce personnage ludique. L'évocation d'objets tels les marqueurs, les jetons, les coffrets, les pièces de mobilier spécifique, nous familiarise avec les "accessoires" du joueur. Les manuels de jeux, anciens et modernes, témoignent des règles inventées, et souvent adaptées, par ces passionnés des cartes.
L'expression cartes "à jouer" prend ici toute sa dimension car c'est bien de jeux qu'il s'agit : jeux "codifiés" avec l'élaboration progressive des règles de jeu au fil des siècles, jeu "vécu" et "partagé" au sein de la grande famille des joueurs de cartes.

Le XXe siècle connaît trois catégories de joueurs :

- le joueur "social" ou occasionnel caractérisé par la modestie de ses enjeux et une pratique récréative,
- le joueur professionnel qui fait du jeu son gagne-pain,
- le joueur "flambeur" ou "compulsif" qui ne peut s'arrêter de jouer que lorsqu'il a tout perdu.

Et par le passé, qu'en était-il ?

On retrouvait probablement ces trois types de joueurs mais leur répartition n'était assurément pas la même : le joueur "social", si courant aujourd'hui, devait être très minoritaire naguère ...

Les cartes et donc les joueurs de cartes font leur apparition dans le dernier tiers du XIVe siècle, au royaume de France comme dans le reste de l'Europe. Toutefois, seule l'allusion répétée aux joueurs dans les "lettres de rémission", à partir de la seconde moitié du XVe siècle témoigne de la généralisation de ce phénomène social. Au début du XVe siècle, les cartes n'ont pas encore cette réputation d'immoralité qu'elles auront par la suite. Elles sont même considérées par les humanistes comme un moyen d'appréhender "joyeusement" le monde.

Pourtant, dès la fin du siècle, l'engouement est tel que déjà il suscite un certain nombre de critiques. Il faut préciser que les jeux pratiqués alors sont essentiellement fondés sur le pari et l'argent.

Dans la France du "Grand Siècle", petite noblesse, grande et petite bourgeoisie, gens du peuple, tant à Paris qu'en Province, suivent l'exemple donné à la Cour. Seule la paysannerie, pour des raisons évidentes, ne paraît pas jouer. Le joueur continue à susciter tantôt le mépris tantôt l'admiration, deux sentiments que reflètent les propos suivant : pour La Bruyère (1645-1696), les joueurs sont "paresseux, inutiles à la société (...), superstitieux, impatients, (...), trompeurs". Extrait des Caractères, 1688.

Malgré la Révolution et jusqu'à la Monarchie de 1830, la majorité des joueurs conservent certains traits caractéristiques du joueur d'Ancien Régime.

Par la suite, les comportements vont changer sous l'impulsion d'un double phénomène : l'évolution des règles de jeu vers moins de hasard et plus de stratégie humaine, d'une part, la mise en place d'une réglementation officielle définissant les lieux autorisés pour la pratique du jeu, d'autre part.

Quelques figures exceptionnelles de joueurs

Jérôme Cardan (1501-1576) :

De son vrai nom Girolamo Cardano, cet "humaniste" philosophe, mathématicien, médecin, professeur d'université est aussi un joueur passionné. Fin connaisseur, il a rédigé un traité sur le jeu : "livre sur le jeu de hasard" dans lequel il ébauche une théorie des probabilités et décrit certains jeux de l'époque notamment la "Prime".

Giacomo Casanova (1725-1798) :

Casanova est un joueur invétéré formé dans le giron de la société vénitienne. Grand voyageur, il fréquente Venise et Spa - les deux grandes capitales du jeu au XVIIIe siècle - mais aussi Londres et Paris où le jeu n'est pas moins présent. Contrairement à Dangeau, il lui arrive de "corriger la fortune", la tricherie étant alors un sport très répandu autour des tables de jeux.

François Ier et Henri IV inaugurent la longue liste des souverains fascinés par les cartes, parmi lesquels on compte également Louis XIV, le Régent, la reine Marie-Antoinette et Charles X.

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